Le 5 mai 1992, la tribune Nord du stade Armand-Cesari s’effondre, quelques minutes avant la demi-finale de Coupe de France entre Bastia et Marseille. Le drame fait 18 morts et 2 357 blessés. Jacques Vendroux, qui devait commenter le match pour France Info, fut l’un des rescapés. Il raconte.
Le drame
« Il est 19 h 45 quand je me suis assis dans cette tribune. Je vois encore le technicien, Michel Mottier (décédé suite au drame), qui me dit Jacques tu fais l’ouverture du journal
. Je mets mon casque et après silence sur la fréquence. Je ne me souviens plus de rien… jusqu’à l’hôpital de Bastia. J’ai un simple souvenir d’un ancien joueur de Bastia qui vient me voir : Je prends ton sac et je te le ramène à l’hôpital
. Si j’ai eu la chance de m’en sortir, c’est parce que j’ai été mis KO dès le début de la chute. Je suis tombé désarticulé alors que tous les autres se sont vus tomber. Aujourd’hui, tout le monde me dit : la tribune, elle tremblait. Moi, je ne me suis aperçu de rien.. Je suis monté, j’étais le plus heureux du monde, car j’allais commenter un match de football qui était ma passion. Je n’ai jamais eu un moment de doute.
Je reste 15 jours – 3 semaines à l’hôpital de Bastia. On ne peut pas me transporter en France parce que j’ai la rate qui a explosé, j’ai les poumons qui sont perforés. Les cervicales sont touchées, les côtes sont cassées, la vessie est éclatée. Après, un cancérologue et un ami chirurgien ont pris les choses en main. Ils m’ont rapatrié sur Paris et m’ont amené à la clinique d’Alleray pour faire les premières opérations. Moi je me rends compte de rien, j’ai tellement de morphine dans la gueule. Après, on m’envoie à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière pour réduire les fractures des vertèbres. Au total, c’est 6-7 opérations au minimum, je suis incapable de le dire précisément. J’ai beaucoup souffert. Puis c’est une rééducation de plusieurs mois. Je suis parti à la thalasso de Serge Blanco. J’étais comme un sportif de haut-niveau. La rééducation, c’est votre match à vous. Les médecins ont fait leur match. Vous, vous êtes dans la prolongation et vous devez conclure.
Vingt-huit ans après…
J’y pense tous les jours. Vous voyez une image d’une catastrophe, vous y pensez. Vous voyez une ambulance quand vous roulez en voiture, vous y pensez. Toutes les personnes qui me disent qu’elles ont oublié, c’est impossible. J’ai mis plus de 20 ans à en parler. Je ne supporte pas les gens qui parlent régulièrement de leur drame. On n’est pas des héros parce qu’on était à Furiani. Et je ne suis pas un martyr de Furiani. J’ai beaucoup souffert les deux années qui ont suivi l’accident car on me regardait comme une bête curieuse.
J’ai peut-être créé cette situation aussi, car j’ai refusé de parler durant quasiment 20 ans. Involontairement, j’ai créé une sorte de mystère. Mais je n’avais pas envie de parler. J’ai commencé à parler il y a peine 2 ans, à la demande de ma fille et de mon fils. Ce n’est pas une thérapie, mais ça me fait quand même du bien. Evidemment dans cette histoire, il y a des responsabilités. Mais si je commence à vivre dans le règlement de compte… Je n’en veux pas du tout à Bastia.
Mais je ne suis pas encore retourné à Furiani. J’ai toujours refusé d’y commenter des matches. Je n’ai pas la force. Mes enfants veulent absolument m’y emmener. Je ne sais pas si je suis prêt, on verra.
Plus de match le 5 mai
J’ai fait partie d’une commission de la FFF pour savoir s’il fallait sanctuariser le 5 mai. Les familles des victimes étaient présentes. Un collectif a voulu qu’il ne se passe rien le 5 mai. Et a gagné d’ailleurs. Moi, je suis toujours contre. Ça rajoute de la peine à de la peine. Justement, il fallait leur rendre hommage ce jour-là ! Là, c’est le meilleur moyen d’oublier le 5 mai. Il ne faut pas oublier les victimes. »